La forêt à la place du bitume

Au sein de la réserve naturelle Neuhof-Illkirch-Graffenstaden, plusieurs kilomètres de route seront dégoudronnés cet hiver pour laisser la nature reprendre sa place.

​​​Sur la route de la Schafhardt, au cœur de la réserve naturelle Neuhof-Illkirch-Graffenstaden, seul un pic jouant du bec contre un tronc d’arbre vient rompre le silence. Cela fait plus de vingt ans que les colonnes de camions faisant route vers le port ont déserté le bitume qui est pourtant toujours-là. Cet espace de 2,7 kilomètres de long, 8 mètres de large et 50 cm d’épaisseur va être rendu à la forêt cet hiver. " C’est d’abord la couche d’humus qui a recouvert les bords de la route qui sera retirée et mise de côté ", précise Adrien Schverer, conservateur de la réserve. Ensuite l’épais revêtement de bitume sera enlevé, et l’humus remis sur le sol privé de nourriture pendant plusieurs décennies.  
Un kilomètre de l’ancienne route sera réaménagé en sentier et le reste de l’espace dégoudronné sera laissé en libre évolution afin de créer des espaces de quiétude pour la faune. " L’idée est de rééquilibrer les vivants, de donner la capacité aux espèces non-humaines de se redéployer ", explique Marc Hoffsess, adjoint en charge de la transformation écologique du territoire. Et ça fonctionne. 

Retour de la faune

L’année dernière, 8 kilomètres de route ont été décroutés et de premières observations encourageantes ont pu être faites. " Nous avons noté une amélioration notable sur la recolonisation par la faune du sol ", précise la biologiste Isabelle Combroux, qui travaille spécifiquement sur l’écologie de la restauration. La présence de lombrics, gastéropodes, araignées, ou encore larves d’insectes est en effet un indicateur du bon état des sols. L’enseignante-chercheuse au sein de l’Université de Strasbourg et ses étudiants ont pu constater leur retour en menant des travaux pratiques sur les sols débitumés. " Le cortège des forêts alluviales revient assez rapidement, on voit des pousses d’aulne, de frêne et quelques espèces caractéristiques du milieu rhénan. Il n’y a heureusement pas d’espèce envahissante, ce qui est une crainte sur ces sols ", poursuit l’universitaire. 
Pour ce qui est de la faune, des espèces très demandeuses de calme, et donc très craintives de la présence humaine, ont fait leur retour dans la forêt. " Les palombes sont revenues, ainsi que d’autres oiseaux nicheurs ", se réjouit Marc Hoffsess. 
Cette opération, financée à 80% par l’État dans le cadre du plan de relance, est l’aboutissement d’une concertation citoyenne menée en 2019 sur le plan de circulation au sein de la réserve. Outre le débitumage, il a été convenu que le maillage des routes et sentiers, long de 80km, sera divisé de moitié pour accroître les zones de quiétude, et laisser le plus d’espace possible à la forêt et ses habitants. 
Le projet a valu à Strasbourg de recevoir le prix de Meilleure commune pour la biodiversité 2023, dans la catégorie des villes de plus de 100000 habitants. " C’est un message qu’on envoie au-delà des frontières de notre territoire, assure Jeanne Barseghian. La nature peut, peu à peu, reprendre ses droits ". 

Anne Dory
Photos Jérôme Dorkel