Yves Wansi, un juste regard sur le handicap

Yves Wansi, président de l’association Vue (d’)ensemble, a coréalisé Voir la Corse autrement, un documentaire qui retrace le trek réalisé par des non-voyants, des malvoyants et des voyants.

"Toutes les personnes avec un handicap visuel sont des aventuriers du quotidien. Pour faire vos courses, vous devez esquiver les enfants, les chiens, les vélos, les voitures, les poteaux, les trous, les travaux… C’est une jungle urbaine !" 

Autant dire que randonner en Corse, sur l’un des GR les plus difficiles d’Europe, ne faisait pas peur à Yves Wansi. En mai et en septembre derniers, le président de Vue (d’) ensemble et la réalisatrice Christine Stromboni ont filmé et interviewé plusieurs voyants, malvoyants et non-voyants de l’association et de son homologue corse Luci, lors d’un trek de 10 jours.

"La plupart des participants étaient voyants et ont perdu la vue au cours de leur vie. Avec l’esprit de groupe et la confiance qui se sont développés pendant la randonnée, les langues se sont déliées, chacun et chacune a parlé de sa maladie, reprend Yves Wansi. Il faut savoir qu’il existe plus de 30 pathologies différentes. Certaines personnes voient flou, d’autres ont un voile ou des tâches devant les yeux... Moi par exemple, je n’ai plus de vision centrale mais je distingue des choses en périphérie, ce qui explique que je me déplace facilement. Mais je ne peux pas lire." 

Casser les stéréotypes

C’est toute cette aventure sportive, ces témoignages sur la diversité du handicap et ces histoires personnelles touchantes que retrace Voir la Corse autrement. Soutenu par la Ville de Strasbourg, le documentaire a été diffusé en avant-première le 24 février au cinéma L’Odyssée et sera projeté cette année à Nancy, Lyon, Sarralbe, en région parisienne et en Belgique.

C’est la deuxième fois que les aventures des membres de Vue (d’)ensemble font l’objet d’un film : en 2017, dans Défi Baïkal, le réalisateur Olivier Weber les avait suivis dans leur traversée en ski de la banquise. À cette époque déjà, Yves Wansi souhaitait casser les idées reçues, changer les regards sur le handicap et inciter les personnes non-voyantes et malvoyantes à avoir des activités. "Partir en Sibérie, ça paraît improbable mais il n’y a pas d’obstacle sur la banquise, vous pouvez skier pendant des heures ! La société porte soit un regard misérabiliste sur le handicap, soit un regard héroïque. Le juste milieu n’existe pas." 

Pour lui, le juste milieu, c’est donner toute leur place aux malvoyants et aux non-voyants dans la société, aux côtés des voyants. De nombreuses convictions qui l’ont poussé à créer l’association, en 2012. "À cette époque, je me suis rendu compte que les jeunes handicapés visuels n’étaient pas attirés par les associations car elles ne proposaient pas d’activités adaptées à leur âge et ne se mélangeaient pas avec les voyants, ce qui limitait les possibilités. La logique de Vue (d’)ensemble, c’est de partager notre douleur ensemble et d’essayer de la surmonter ensemble." Roller, salsa, plongée, randonnée, chorale, cours de cuisine, escalade, défilé de mode… Avec toutes les activités proposées par l’association, le défi semble en bonne voie d’être relevé.

Espoir contre colère

Yves Wansi ne manque ni d’optimiste, ni d’énergie car il a lui-même surmonté de nombreux obstacles. "Je suis originaire du Cameroun et je suis arrivé en France en 2002 dans l’espoir de trouver un médecin qui pourrait m’opérer. Mais j’étais jeune et l’intervention délicate." Il sollicite plusieurs professionnels dans différentes villes, avant que le docteur Olivier Naoun, chirurgien à Strasbourg, n'accepte de l’opérer et ne stabilise ainsi sa pathologie. "Il ne m’a pas rendu la vue mais il m’a redonné l’espoir." 

Cet espoir, Yves Wansi souhaite le transmettre aux jeunes qui déclarent une pathologie et passent très souvent par la colère, le déni et la dépression face à la maladie. "Nous aimerions aussi créer un cours sur le handicap visuel pour les étudiants en ophtalmologie de la faculté de médecine. Et en 2023, nous prévoyons de randonner dans l’Himalaya." L’aventure est loin d’être finie. Léa Davy

Photos Alban Hefti

www.vue-densemble.com