Agenda

Comment se défaire de l’idée de séparation ? Le théâtre de La Belle Meunière repose sur la relation qu’il entretient avec la matière. Cailloux, air, fer, sable ou vase agissent et interagissent comme des partenaires de jeu, d’invention et de réflexion. La lecture de L’Inséparé. Essai sur le monde sans Autre (PUF, 2013), du philosophe Dominique Quessada, pousse Marguerite Bordat et Pierre Meunier à esquisser une expérience sensible nouvelle : celle d’explorateur·ices débarrassé·es des codes et contraintes d’un ancien modèle. Iels partent à la découverte d’une autre forme de réalité, sans hiérarchie. Comment le théâtre peut-il rendre compte du bouleversement politique et existentiel d’effacement des limites ? Quel élan commun peut surgir sur les cendres de la séparation et des crispations identitaires qui en sont un visage contemporain ? Dans cette rêverie sonore, plastique et incarnée, nos modes de pensée occidentaux, hérités de la pensée grecque, sont mis à bas au profit d’un nouveau combustible pour l’imaginaire. Tout est sur le même plan, relié et se répondant : les acteur·rices, le public, les choses, le temps, le dehors, le dedans, les mots, la pensée, la poussière dans l’air, le claquement d’une porte, la souplesse du plancher, la mort de la tragédienne, et les fauteuils rouges du théâtre

Attention : ce spectacle comporte des effets stroboscopiques

Composé sur-mesure pour le TJP, ce Cabaret Magique de la Compagnie 14:20 déploie toute la diversité de la Magie nouvelle. D’abord le jonglage en apesanteur de Rémi Lasvènes où les balles, facétieuses, n’en font qu’à leur tête, comme si elles possédaient leur propre vie. Arthur Chavaudret invite le public à participer de près à ses fantaisies. Quant à Johanna Ehlert, elle joue avec une marionnette autonome tandis que la Compagnie Alogique se débat avec une boule de papier, tout aussi attachante que malicieuse et émouvante. Cet éventail de propositions est rempli de mystères et d’enchantements, accompagnés au piano par Madeleine Cazenave. Preuve de l’inventivité d’une discipline créative où la recherche est reine.

Comme chez le peintre Pierre Soulages où du noir jaillit la lumière, Laure Werckmann plonge en solo dans les ténèbres de l’autobiographie de Natassja Martin, Croire aux fauves. L’anthropologue y raconte sa métamorphose après avoir été mordue au visage par un ours, au Kamtchatka. Suivant le fil de cette réparation, entremêlant les temps et les traces que forment ses souvenirs, la comédienne crée un espace neuf à partir de ces écrits, ces recherches et ces rêves. Prothèses, maquillage et costumes permettent d’appréhender la reconstruction de l’autrice par une hybridation avec l’autre. Ce second spectacle de la jeune compagnie Lucie Warrant poursuit un projet visant à révéler de nouvelles figures féminines, héroïnes de la métamorphose. Elle convoque le trouble de la transformation autant qu’une entité mythologique animiste – la miedka, l’être mi-femme mi-ours du peuple Évène de l’extrême-orient russe –, celle qui se tient entre les mondes, seule à même de la guider vers un nouveau soi. « J’aimerais que Croire aux fauves soit un spectacle sur la réparation », confie la metteuse en scène. « La réparation du corps blessé. La réparation de la relation humain / animal. La réparation du temps brisé, effacé. La réparation de la relation parent / enfant. La réparation de la relation acteur·rice / spectateur·rice. La réparation rêve / réalité. La réparation vie / mort. La réparation sauvage / civilisé. »

Ce spectacle sans paroles des berlinois Melanie Florschütz et Michael Döhnert se joue autour de la rotation d’une turbine. Elle tourne dans un sens, dans l’autre, accélère en silence ou vrombit, craque et crépite. À son contact, les objets de cette machinerie fantastique se transforment et se libèrent de leur usage habituel. Comme par magie, chaise, manteau, seau et autres prennent vie, changent de forme et de matières, se déploient dans un jeu de projection et de volumes drôlement déroutant. Le théâtre d’ombres rejoint le slapstick du cinéma muet pour une envolée enchanteresse. Après avoir créé pour les très jeunes spectateur·rices les aventures d’un lapin blanc et d’une poche de pantalon sans fond (Ssst !), ou celles d’un trou facétieux (Un petit trou de rien du tout), voilà qu’iels bousculent notre perception de l’espace et du temps. La réalité vacille et l’ombre semble se détacher des formes qui les génèrent, pour mieux danser sur le fond de scène. Notre duo de machinistes se trouve, dès lors, catapulté avec nous dans un univers mystérieux, rempli de surprises.

DÈS 4 ANS

Dix-huit minutes et trente-quatre secondes, c’est le temps mis par Eliott pour arriver en dernière position au cross du collège. L’ado rejeté par le groupe est jugé lent. Trop lent pour un monde en quête d’efficacité et de performance. Les autres l’évitent et les humiliations s’enchaînent au point de faire naître le besoin de se retirer dans une cabane en pleine nature, comme le Walden d’Henry David Thoreau. Le chorégraphe Thomas Guerry et son frère réalisateur Bertrand Guerry créent la coexistence de deux trajectoires de vie possibles. L’utilisation de caméras en direct permet la projection d’images sur grand écran. La danse s’inspire des mouvements du vivant, accentue les écarts de vitesses et d’énergies des cinq interprètes. Entre cinéma onirique et rêverie incarnée par les corps, diverses façons d’être au monde se percutent dans une ode au ralentissement, à la contemplation intérieure et à l’imaginaire. Face aux injonctions collectives, chacun devient une caisse de résonance organique où se retrouvent des vrilles et des micro-mouvements. Dans ce moment charnière de construction identitaire et sociale, qui est aussi celui de la remise en cause de l’ordre du monde, les voies détournées permettent une résilience face aux traumas.

Chacune des créations d’Ikue Nakagawa débute par un dessin où une série d’esquisses lui permettant d’accéder à ses mondes intérieurs. Elle se nourrit ainsi de chacune des strates du mille-feuilles qui la compose, tout en se délaissant des limites des corps représentés ou dansés. Tamanegi, petit oignon à la fois piquant et sucré du Japon, constitue un étrange portrait familial où la chorégraphe évolue, seule, au milieu de cinq marionnettes à taille humaine. Composé alors que son père luttait contre la maladie, ce solo effeuille les couches protectrices d’une fratrie pour mieux en révéler les relations depuis le cœur. La danseuse donne vie aux personnages en les déplaçant. Malgré leurs visages figés, elle parvient à tisser des rôles, devenant aussi bien fille, sœur, mère qu’épouse. Ikue Nakagawa raconte par sa seule présence habitée le soin, le réconfort ou l’inconfort des liens filiaux, le poids qu’ils impliquent. Interprète remarquée chez Frank Micheletti (Archipelago, Tiger Tiger Burning Bright), elle danse ce qu’on ne voit pas, les ancêtres et les présences, composant un portrait sensible de ce qui nous ancre.

Centre Dramatique National, le TJP accompagne les artistes et soutient la création de nouvelles œuvres autant qu’il favorise leur rencontre avec le public. À l’occasion des Micro Giboulées, le TJP offre à trois artistes l’opportunité de présenter un instantané de leur travail en cours au public comme un avant-goût du spectacle en préparation. D’une salle à une autre, d’une forme à une autre, d’un univers à un autre, ce parcours est une invitation à découvrir les artistes, leurs recherches et leurs gestes de création d’une autre manière et d’en échanger avec elleux sur le vif.

Chacune des créations d’Ikue Nakagawa débute par un dessin où une série d’esquisses lui permettant d’accéder à ses mondes intérieurs. Elle se nourrit ainsi de chacune des strates du mille-feuilles qui la compose, tout en se délaissant des limites des corps représentés ou dansés. Tamanegi, petit oignon à la fois piquant et sucré du Japon, constitue un étrange portrait familial où la chorégraphe évolue, seule, au milieu de cinq marionnettes à taille humaine. Composé alors que son père luttait contre la maladie, ce solo effeuille les couches protectrices d’une fratrie pour mieux en révéler les relations depuis le cœur. La danseuse donne vie aux personnages en les déplaçant. Malgré leurs visages figés, elle parvient à tisser des rôles, devenant aussi bien fille, sœur, mère qu’épouse. Ikue Nakagawa raconte par sa seule présence habitée le soin, le réconfort ou l’inconfort des liens filiaux, le poids qu’ils impliquent. Interprète remarquée chez Frank Micheletti (Archipelago, Tiger Tiger Burning Bright), elle danse ce qu’on ne voit pas, les ancêtres et les présences, composant un portrait sensible de ce qui nous ancre.

Temps passé, c’est notre rituel de passage de l’hiver au printemps. C’est le moment de laisser nos mots s’envoler pour s’alléger, prendre soin de nous et nous réparer.
Nous inviterons chaque année des artistes à se saisir des textes que vous avez déposés dans la boîte aux lettres et des paroles que vous avez enregistrées dans la cabane téléphonique. Nous partirons de vos paroles récoltées pour créer une cérémonie de libération de la parole et de transformation de soi.

Pour cette édition 2024, nous avons confié Temps passé à Delphine Lanson, membre du service artiste du TJP.

Spécialiste de l’œuvre de Jon Fosse, prix Nobel de Littérature 2023, Gabriel Dufay monte une de ses dernières pièces. Ce « poème scénique » prend la forme d’un thriller amoureux : un homme et une femme se quittent, se retrouvent et cherchent à comprendre ce qui les a reliés et ce qui les relie encore, en faisant état de leurs doutes et de leurs fragilités. Mais difficile de dénouer la réalité du passé, les souvenirs des fantasmes dans cet appartement du 14e étage : un homme revoit la mère de son enfant, mélange les époques, les aventures… tout en étant irrémédiablement attiré par la fenêtre menacée par le vent. Après les créations de Fracassés de Kae Tempest et Colère noire de Brigitte Fontaine, le metteur en scène poursuit son dialogue entre les arts en faisant appel à la chorégraphe Kaori Ito et à des interprètes de tous horizons mais aussi en recourant aux arts numériques. L’enfermement mental et les fantômes du passé se côtoient, donnant corps à des tableaux vivants d’images projetées et déformées, à la manière d’un Bill Viola. Il nous plonge face à nos propres sables mouvants et questionne ainsi l’étrangeté de nos existences.

Au travers du projet Utopie, Utopies, Delphine Lanson entend éveiller des échanges entre artistes du corps, du verbe et habitant·es. Elle invite des binômes à explorer des sujets qui les animent en les poussant jusqu’à l’utopie. Les RAP, représentations artistiques performatives qui en ressortent ont vocation à éveiller la curiosité des habitant·es, à allumer une étincelle, générer de l’inattendu, mettre le corps et la pensée en mouvement pour une expérience de partage et d’intelligence collective incarnée. Le premier des deux nouveaux RAP, créés pour le temps fort Génération Seishun, voit la comédienne incarner physiquement les mots de Mélissa Dossou, ancienne élève de la Classe à horaires aménagés théâtre du collège Hans Arp (Elsau). Un Monde sans frontières questionne la transmission et l’émancipation. Pour le second, Louis Gillard, danseur et Jorg Müller circassien inventent Un Monde sans adultes. Suite à une immersion en milieu scolaire, le duo s’est nourri de jeux d’enfants pour imaginer les conséquences d’un Neverland à la Peter Pan.